HISTOIRE
Ampugnani
C’est
la vallée du Fiumalto qui constitue l’axe central de la Grande Castagniccia,
dont la micro-région d’Ampugnani occupe le cours médian. La rivière prend sa
source sur le flanc ouest du mont San Pedrone, dans la forêt de San Pietro
d’Accia, près du village de Carcheto. Après avoir parcouru une vingtaine de
kilomètres dans une vallée encaissée et sauvage, elle débouche à l’est dans une
étroite plaine littorale, avant de se jeter dans la mer Tyrrhénienne, à 1km au
sud du site antique de San Pellegrino. L’examen de la carte met en évidence
l’unité géographique et physique du bassin. Du sommet du San Pedrone (1767m) on
découvre clairement le demi-cercle de sommets de plus de 1000m d’altitude qui,
du nord (Mont Sant’Angelo – 1218m) au sud (Pointe de Caldane – 1724m), enserre
toute la vallée. Le lit tumultueux de la rivière en est le seul accès
naturel. A 60 km à l’est de la plage de San
Pellegrino on distingue, par temps clair, le profil pyramidal de la petite île
italienne de Monte Cristo, où vécurent dès le Bas Empire les moines du monastère
de San Mamiliano, qui eurent des liens privilégiés dès le VIIème siècle avec
l’évêché d’Accia, dont les ruines sont encore visibles près du col de Prato, sur
le flanc nord-est du San Pedrone, à plus de 1000m
d’altitude. De cet emplacement privilégié, la vue
s’étend sur l’ensemble de la Castagniccia, du rivage de San Pellegrino à l’Est,
à la vallée du Golo et aux premiers sommets de la chaîne du Monte Cinto à
l’ouest. Lorsqu’on observe les vallons escarpés
qui se succèdent en direction de la côte orientale, le regard est attiré par
l’étonnante densité de villages et hameaux, de chapelles et de couvents bâtis à
des hauteurs variant de 300 à 900m, étagés sur les versants les mieux exposés
des deux rives de la rivière. Petites taches grises éparpillées dans la masse
vert sombre de la châtaigneraie, ces constructions de schiste lustré témoignent
de l’énergie et de la constance d’une population, autrefois très dense, en ces
lieux d’accès aussi difficile. C’est dans ce cadre rude mais attachant
que se situait au Xème siècle le domaine de la Comtesse Mathilde
d’Ampugnani.
La comtesse mathilde d’ampugnani
La
Comtesse Mathilde d’Ampugnani est citée seulement dans deux documents datant du
Xème siècle, d’abord dans un acte de 936 relatif à un achat de terres qu’elle a
effectué, ensuite dans son testament daté de 951. Ces deux actes sont reconnus
authentiques aux yeux des spécialistes de la critique des textes, mais, en
dehors de ces deux là, il n’en existe pas d’autres ; de plus les chroniqueurs
des Xvème et XVIème siècle ne parlent absolument pas
d’elle. Autant dire que ce personnage aurait dû
être voué à un oubli quasi-total de la part des historiens, mais il se trouve
qu’une étrange survivance de la tradition orale recueillie en Ampugnani et en
Orezza permet de faire revivre sa mémoire. Ses
actions diverses, sa gestion du territoire de ces deux pièves, sa piété
profonde, traduite notamment par les constructions et reconstructions des
sanctuaires du très Haut Moyen Age, ses lieux de résidence et ses déplacements
pour se rendre aux offices religieux, sont encore commentés par les personnes
âgées de plusieurs villages : plus de mille ans après sa mort, on vous désigne
encore les jardins de la comtesse, ses maisons – tours et les chemins que l’on
jalonnait de roses sur son passage, son élevage de truites,
etc. Pour pouvoir passer de ces légendes à
l’Histoire, on ne peut qu’avoir recours à l’archéologie et à l’examen du
terrain. L’étude archéologique qui pourront être
fait sur le Castello de Lumito notamment et surtout ls bâtiments conventuels de
l’abbaye S. Maria de Canovaria, à Pruno, (hormis l’église) devrait permettre
d’éclairer de façon plus précise l’histoire passionnante de cette petite
province, entre le Xème et le Xvème siècle, où tant d’activités se déployèrent
le long des rives de Fiumalto depuis la mer orientale jusqu’au massif du San
Pedrone, d’où l’on voit si bien, par temps clair, l’île de Monte
Cristo.
Le castellu de cocovello
C’est
grâce au démaquisage important effectué sur la butte rocheuse dénommée castello
que l’on a pu identifier ce site. En effet, des arbres avaient poussé sur le
haut des murs, dans les angles notamment, tous éclatés par des racines tordues
qui ressortaient parfois le long des parois verticales de la butte rocheuse
elle-même. Pour atteindre les murs ruinés que l’on devinait sous les arbres, il
a fallu d’abord ramper sous les branches basses afin de repérer les lieux
ensuite, après l’abattage de la plupart des arbres et arbustes, l’observation
des murs arasés a été facile et a permis de constater que l’édifice se composait
à l’origine d’une sorte de torrione
à
peu près rectangulaire formant donjon et flanqué à l’Est comme au Nord-ouest par
deux corps de bâtiment situés en contrebas par rapport à lui.
Certains murs du donjon atteindraient
peut-être encore 1,50m à 2m de hauteur, si on les dégageait des éboulis de
pierres et de terra rossa qui les enserrent. Mais, même sans procéder à des
travaux de fouilles archéologiques – qui seront évidemment bien nécessaires dans
l’avenir -, on peut se rendre compte de l’architecture de l’édifice aussi bien
que de l’organisation générale des lieux : ce site domine à pic toute la haute
vallée du Fiumalto et le donjon faisait face, à l’Ouest, par delà le fond de la
vallée, à l’imposant sommet du San Petrone ; au Sud, il était en vue au col
d’Arcarotta qui sépare l’Ampugnani de l’Alesani ; au Nord et au Nord-Ouest, il
permettait de découvrir toute une série de crêtes, depuis celle du San Paolo
jusqu’au Sant’Angelo en Casinca ; à l’Est, par contre, il était relié au restant
de la montagne par une étroite bande de terre, occupée en partie par un des
corps des bâtiments. Le long de cet espace, on voit encore bien le vieux chemin
muletier bordé de murs qui reliait le fond de la vallée aux crêtes, notamment
celle où se trouve le village de Scata aujourd’hui, soit à 20 minutes de marche
environ ; la pente en est rapide et le territoire est organisé de terrasses en
terrasses, avec d’anciens jardins et parcelles cultivables qui avaient accès au
chemin. En somme, lorsque le donjon était
complet dans sa hauteur, on peut imaginer que l’on pouvait, depuis son étage
supérieur, surveiller la piève d’Orezza, la rive gauche de l’Ampugnani, et même
une partie de la Casinca. Sur des murs épais de 0,85 à 0,90 m en
moyenne, faits de grosses pierres longues, bien choisies et non équarries,
noyées dans une terra rossa épaisse et dure, on peut supposer qu’avait pu
s’élever une haute bâtisse : 4 ou 5 étages sont possibles, soit 12 à 15m de
hauteur environ, par-dessus le rocher formant socle. On ne sait rien du nombre de fenêtres
(étroites, sûrement, puisqu’il y a un linteau en bâtière remployé dans le corps
du bâtiment situé à l’Est ; il est intéressant de constater que les dimensions
de ce linteau sont les mêmes que celle du linteau d’une des fenêtres de la tour
du Zenninchi visible à sa façade méridionale. On
peut supposer qu’il y avait une porte du côté Nord, car il existe une sorte de
replat fait de pierres longues disposées parallèlement mais disjointes par les
racines des arbres. C’était peut être un seuil ; un vaste escalier, dans ce cas,
devait réunir le castello au chemin grâce à un aménagement de la paroi rocheuse
ventrue existant de ce côté là. Il n’est pas sûr qu’il y ait eu une
terrasse au sommet du donjon, car on a observé des débris de lauzes, provenant
sans doute d’une toiture, dans les déblais d’un « trou de trésor » qui avait été
pratiqué il y a bien longtemps sûrement, avant la repousse des grands arbres. Si
tel était le cas, la toiture en lauzes sur charpente aurait pu offrir quatre
pans plutôt que deux. Mais on ne peut le savoir. La toiture du corps de bâtiment placé à
l’Est pourrait avoir été appuyée contre le donjon avec lequel cet espace devait
correspondre par des escaliers… ou des échelles de bois. On ne sait pas combien
de portes il y avait, mais une seule est déjà bien reconnaissable au Nord ; elle
est large d’1,28m intérieurement, avec un léger ébrasement ; son seuil se
compose d’une pierre longue monolithe reposant sur les extrémités de 5 longues
pierre disposées parallèlement et son niveau semble être à environ 0.67m au
dessus du rocher formant sol, comme on a pu l’entrevoir en remaçonnant l’angle
extérieur Nord-Est, que les racines avaient fait exploser. On a consolidé aussi
à sa place le linteau en bâtière précité qui avait été réutilisé comme
matériau ; sa tranche est disposée en parement de mur. Cet élément pourrait
faire supposer que le donjon avait été rebâti ou réparé à un moment donné de son
histoire. Le corps de bâtiment placé au Nord Ouest du donjon offre un plan assez irrégulier, car il utilise la paroi rocheuse qui forme en ce point une sorte de grotte sous le surplomb de ce rocher-socle ; il ne subsiste plus de cet ensemble que deux murs principaux et un autre, incomplet. La destination de cet espace était elle une écurie pour les chevaux ? – avec peut-être un étage, pour le personnel affecté à leur entretien ; une porte large d’1m pouvait avoir donné accès à un petit passage oblique débouchant immédiatement sur le chemin. Une toiture en appentis (ou bien une terrasse recouverte de terre battue à la façon des paillers de Balagne ?) pouvait couvrir un tel espace qui logiquement avait une correspondance avec le donjon au moyen d’escaliers.
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